Pour faire suite au post précédent, je vous propose ici une réflexion sur le dit "bien-être en entreprise"...
En effet, après avoir visionné le documentaire Arte "Le Business du Bonheur", je suis allez voir une conférence de Marie Dasylva "Aller bien à tout prix? Discussion critique autour du bien-être." à la Bibliothèque de Vevey...
Ainsi, voici les questionnement de Marie:
"La quête du bien-être peut-elle en arriver à nous faire du mal? Le terme à priori positif de bien-être peut-il servir à cacher une stratégie marketing, un nouveau champs de compétition, des inégalités et des discriminations? Et, si oui, comment s'y retrouver pour quand même "être bien" et prendre soin de soi?"
QUE NOUS DIT MARIE DASYLVA?
Selon elle, le travail est anxiogène, pathogène et mortifère et on a mieux à faire que de travailler. Raison pour laquelle, elle a écrit le bouquin "Survivre au taf".
Quant à la sécurité au travail, à savoir travailler dans une ambiance sereine, obtenir un CDI... c'est cette sécurité, qui nous permet d'accéder au bien-être et non l'inverse!
Cependant, il nous arrive aussi parfois de stagner dans une "stabilité déstabilisante". Ainsi, lorsque nous obtenons enfin un CDI, nous tachons de tenir pour tenir dans un job qui ne nous plait ou ne nous convient pas...
Elle propose alors d'envisager la vie comme "un reste-à-vivre" plutôt que comme de la survie. Rester coute que coute dans un boulot délétère pour notre santé, est assimiler à de la survie. Sauver sa peau, si nous souffrons dans un job (car maltraité, discriminé, asservi, humilié, pressurisé...) est vu comme du "sauve-qui-peut"... Car quoi qu'il arrive, il nous appartient de "sauver notre vie", quitte à ce que cela passe par une démission!
Pas que j'ai franchi à plusieurs reprises et notamment il y a quelques années alors que j'étais employée dans une organisation de soins à domicile.
Car ce qui est parfois vu ou vécu comme de la résilience, implique parfois de s'adapter à tous les contextes, même les plus défavorables, quitte à y laisser sa santé mentale.
Elle propose alors:
-De définir son horizon professionnel par le comment, plutôt que par le parce que! -De choisir le compromis plutôt que le sacrifice.
-De contourner ou d'affronter l'absurde (lorsque ton chef des consignes qui te parfois incohérentes ou dépourvues de sens).
-Et de surtout ne pas régler de manière personnelle, un problème structurel...
Mais quelle est l'origine de ce nouveau style de management? Comment se fait-il, que l'on ait jamais autant parler de bien-être en entreprise alors qu'il n'y a jamais eu autant de souffrance au travail?
ENTREPRISE ET PSYCHOLOGIE POSITIVE
Actuellement, le monde de l’entreprise en Europe récupère la philosophie du développement personnel sur fond de mondialisation de l’économie libérale et des méthodes de management à l’américaine, à savoir la « fortification » du psychisme des employés.
Car n’oublions pas que la finalité du management est de considérer les êtres humains comme des ressources et de trouver des moyens d’en tirer de la valeur.
Au XXème siècle, le développement des grandes entreprises a contraint ces dernières à développer des stratégies pour coordonner des milliers d’employés sur leurs sites de productions.
Tout a débuté avec Taylor qui a mené de nombreuses études sur l’efficacité basée sur le temps et le mouvement, jusqu’à traité ses employés comme des robots…
Dans les années 30 , certains théoriciens en psychologie sociale, alertent sur le fait que l’on ne peut traiter les humains comme des machines, alors que les théoriciens en management, qui mènent de longues réflexions autour de la productivité, décident de rendre les humains plus productifs en les rendant plus heureux.
Ford, quant à lui, rationalise les taches pour produire plus avec le moins de moyens possibles, en exploitant la force mécanique des employés. C’est émergence de la production de masse.
General Electric, entre 1927 et 1932 porte un intérêt grandissant au bien-être des ses employés dans le but d’augmenter sa productivité.
Plus tardivement, on prône l’émulation de l’esprit d’équipe selon des versions « new age » ou « boot camp » dans certaines entreprises, avec le développement du "team building".
Ainsi, comme vous pouvez le constater, le développement personnel, vendu comme quelque chose de positif pour l’employé, est parfois un cache-misère… (management maltraitant, incohérent, épuisant…), l’entreprise faisant alors l’économie de modifications institutionnelles de ses méthodes de management.
LE PRISME DU CAPITALISME…
Le bonheur est donc une forme d’investissement, car il permet de gagner en productivité tout en augmentant les profits de l’entreprise.
Dans les 90’s, la psychologie du bonheur a explosé comme une fusée. C’est alors que l’on a inclus les statiques du bien-être dans les statistiques nationales au même titre que le PIB…
Dans les années 2000, nait un nouveau métier : « chief happiness manager », qui concilie esprit de compétition et bien-être sur le lieu de travail. Cette espèce de « GO Club Med » laisse à voir le visage joviale de l’entreprise…
On ne s’est donc jamais tant préoccupé du bonheur et bien-être en entreprise et pourtant le marché économique crée des pressions psychiques sans précédent sur les salariés, conduisant nombres d’entre eux à de l’anxiété ou des burns out…
La société et la culture d’entreprise actuelles encourage la positivité, qui rime parfois avec docilité, discipline, acceptation des conditions de travail de plus en plus difficiles, tout en invitant ses employés à ne pas se montrer trop critiques, mettant en avant des opportunités de se développer et de s’épanouir…
Le développement personnel en entreprise a ainsi permis de mettre à l’écart les revendications salariales, syndicales sur le temps et conditions de travail…
Quelques chiffres :
-1 français et 1 allemand sur 10 se dit en détresse au travail
-un quart de la population américaine a déjà subi un burn out
Ainsi, ce bonheur que l’on essaie de nous vendre est-il le luxe des pays riches qui ne connaissent ni famine ni guerre ou un miroir aux alouettes d’une société en perte de sens et en quête d’une optimisation perpétuelle ?
CHÔMAGE ET PSYCHOLOGIE POSITIVE
Dans les année 2010’, David Cameron s’est approprié les bénéfices de la psychologie positive en intégrant la notion de bien-être individuel à un programme politique.
En 2010, il annonce un plan d’austérité sans précédent en Grande-Bretagne, le plus sévère depuis la seconde guerre mondiale. Et parallèlement à cela, il lance un grand plan national pour améliorer la santé mentale des chômeurs par un programme d’activation comportementale. Ils sont ainsi contraints de s’inscrire sous peine de ne pas recevoir leurs allocations.
Des « Job Coach » sont engagés pour enseigner que « le chômage n’est pas un problème social ou politique mais un problème dans votre tête ». Le coach aide le chômeur à augmenter son pouvoir d’agir et en lui faisant répéter des slogans sur l’estime de soi « mes seules limites sont celles que je me fixe »…
UNE PRIVATISATION DE LA SOUFFRANCE
La psychologie nous a amené à privatiser la souffrance, nous laissant entendre que la solution à nos difficultés n’est essentiellement qu’individuel.
Le développement personnel et la valorisation de l’action individuelle ont ainsi peu à peu dévaloriser l’action collective.
Lorsque le mieux est l'ennemi du bien...
Lorsque le bonheur devient une injonction, comment pouvons-nous trouver la voie du milieu?
Quoi qu'il en soit, aucun job ne mérite d'y laisser sa santé physique et mentale...
Si vous subissez une souffrance dans le cadre de votre exercice professionnel, n'hésitez pas à consulter ou à vous faire aider...
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