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LE BUSINESS DU BONHEUR, LA FACE CACHE DU DÉVELOPPEMENT PERSONNEL

Dernière mise à jour : 18 juin 2023


Nicky* vient me voir suite à un burn out. Surmenée, Nicky travaillait dans une institution cantonale avant de sombrer. Paralysée, perdue, elle décide finalement de démissionner et de prendre du temps pour se reconstruire.


Avant de jeter l'éponge, Nicky a cherché à aller mieux. Elle a alors fait une formation en techniques énergétiques, qui lui a permis de reprendre confiance en elle... jusqu’à l'excès. En effet, Nicky, ayant déjà plusieurs formations de ce type à son actif, pensait "qu'il ne pouvait rien lui arriver". Elle a finalement dû accepter son humanité, sa vulnérabilité, le fait qu'elle est faillible. Elle a finalement "repris sa juste place", mais "son égo en a pris un coup!"


Nicky s'est alors sentie terriblement coupable, en échec.. personnel et professionnel.


Pascale* vit "une tempête de couple". Elle a recours à un thérapeute en soins énergétiques. Déprimée, égarée, elle cherche de l'aide où elle peut en trouver. Le "dit-thérapeute" lui fait des "prédictions ", que l'on pourrait qualifier d'hypnose négative ("vous allez faire une dépression d'ici la fin de l'année") et l'incite à revenir, et revenir encore pour "retirer le mal à la racine".


Profitant de son emprise, le charlatan peu scrupuleux, a des gestes déplacés envers Pascale, qui finira par porter plainte...


Comme Nicky* ou Pascale*, nombreux (ses) sont celles et ceux qui découvrent à leur insu, les effets pervers du développement personnel.


Comme le mieux est l'ennemi du bien et comme toute médaille a son revers, je vous propose une plongée dans le monde du développement personnel pour vous faire votre propre opinion, en toute conscience.


A noter que j'ai été et suis encore une grande adepte de développement personnel (mais avec conscience et discrimination) et je ne dénigre ni les coachs, ni les praticiens en médecine alternative, car je pense que cela peut-être aidant et stimulant par moment. Je propose moi-même par le biais des Randos Sophro par exemple, des techniques pour se sentir plus serein, plus confiant et plus autonome. Cependant, il me parait nécessaire de garder son discernement et son auto-détermination...


LE BUSINESS DU BONHEUR


Le développement personnel est-il la clé du bonheur contemporain ?

Est-il le reflet d’un société accomplie qui a mis le bonheur au centre ou le masque d’une société dépressive où l’optimisme devient une servitude ?


Notre vie humain se déroule selon un cycle immuable depuis la nuit des temps : naissance, vie de souffrance et mort. Ainsi, le bonheur nous permet de supporter l’adversité.


Notre société est la première à porter autant d’importance à l’individu, comme dépositaire de ressources intérieures. Chacun est donc appeler à devenir le forgeron de son propre bonheur.


Pendant longtemps, l’on croyait que le bonheur venait de l’extérieur (Dieu, Destin…), mais aujourd’hui, le bonheur est considéré et revendiqué comme étant un CHOIX.

70 000 coachs en développement personnel sont recensés à travers le monde, les plus populaires étant aux USA. Ce qui représente un marché de 3 milliards d’euros / an.


COACHING : PHENOMENE DE MODE OU MODE D’ADAPTATION ?


Nombres de Youtubeurs ou autoentrepreneurs cherchent à se démarquer, de Marie Kondo, la reine du rangement, aujourd’hui devenue millionnaire à Lise Bourbeau, ex meilleure vendeuse d’Amérique du Nord pour la marque Tuperware dans les 60’s , qui a créé son école du bien-être (sur la base des enseignements de Wilhelm Reich, sans jamais le citer) et organise des stages dans 30 pays. Ses livres sont vendus à 6 millions d’exemplaires.


Anthony Robbins, quant à lui, organise des séminaires entre 6 et 8000 dollars la semaine. Le personnage d’Anthony Robbins est un archétype de la réussite. Enfant chassé par une mère alcoolique, il est devenu milliardaire quelques années plus tard.

Pour certains, Anthony Robbins propose de grandes messes sous forme de shows, manipulant volontairement les foules. Pour d’autres, il est un bienfaiteur qui booste l’énergie de ses adeptes.


Plus proche de nous, en France, Lena Situation, 25 ans, a vendu 200 000 livres et tient une chaine YouTube depuis ses 15 ans.


Marqueurs évidents d’un changement de société, les livres de développement personnel ont peu à peu remplacé les livres politiques, auparavant très présents dans les librairies.


Dans nos sociétés occidentales, la survie n’étant plus engagée, les individus sont portés à se tourner vers le développement personnel, si l’on se réfère à la Pyramide de Maslow.


Selon Julia de Funes, philosophe, écrivaine et conférencière, les livres de développement personnel nous aident surtout à nous sentir moins seuls.


Aux USA, on comptabilise 80 000 références d’ouvrages de développement personnel (soit 3 x plus que les précédentes années).


Ainsi, le développement personnel s’appuie toujours sur les même ressorts psychologiques ...

Le coach a souvent vécu un évènement difficile (enfance maltraitée, burn out, addictions…). Il a « touché le fond » avant de faire le choix de devenir coach. Ce statut de coach lui donne ainsi le « droit de témoigner de sa propre histoire » et de ce fait, de refaire surface. Ces acteurs du développement personnel n’ont bien souvent pas de diplôme académique mais s’appuient sur leur expérience empirique de l’adversité, faisant par là-même la promotion de l’action de l’individu sur lui-même, distillant le message « que nous pouvons nous épanouir en développant cette force intérieure que les carcans de la société auraient atrophiée ».


Le coaching est donc un patchwork de différentes philosophies qui tend à la responsabilisation de chacun. Le développement personnel, quant à lui est une version populaire d’une « science du bonheur ».


NAISSANCE DE LA PSYCHOLOGIE POSITIVE


Dans les 90’s, un nouveau courant de la psychologie émerge sous l’impulsion de Martin Seligmann, psychologue et président de l’APA (Association Américaine de Psychologie) : la psychologie positive.

Il est alors reproché à la psychiatrie et la psychanalyse son manque de résultats tangibles.

Alors que la psychanalyse met plutôt le focus sur l’inconscient, l’importance des évènements passés sur le présent, la souffrance et les problèmes, la psychologie positive, quant à elle, met l’accent sur les ressources et le bonheur à venir.

La psychologie positive, issue de la Thérapie Cognitivo-Comportementale (TCC), est en rupture totale avec le Freudisme…


LE POIDS DE L’OPTIMISME


Selon Seligmann, les individus qui ne dépriment pas dans une situation d’adversité sont qualifiés d’optimistes.


En effet, l’optimiste porte un regard confiant sur la réalité et croit en sa capacité d’agir (contrairement au pessimiste), ce qui lui permet de saisir dans l’épreuve une opportunité de se réajuster.


Seligmann affirme également que l’optimisme peut être appris.


Au fil du temps, la psychologie positive suscite l’intérêt d’entrepreneurs philanthropes et milliardaires, qui choisissent de financer la recherche… Ces premiers mécènes de la Psychologie Positive valorisent le volontarisme et le leadership et affirment qu’en chacun de nous, il existe des forces qu’il nous appartient de développer ou d’affirmer.


DE LA RELIGION A LA SPIRITUALITÉ, LE BONHEUR ET SES DÉCLINAISONS…


Pour rappel, l’imaginaire chrétien décrit notre expérience terrestre comme un sacerdoce qu’il faut endurer dans l’espoir d’atteindre la félicité, accessible après trépas.


Chez les bouddhistes, la pleine conscience de l’instant permet l’atteinte du bonheur.


Pour les épicuriens, il s’agit de trouver satisfaction dans les seuls désirs naturels et nécessaires (se nourrir, dormir…) contrairement aux hédonistes qui rechercheront les plaisirs charnels intenses et éphémères.


Quant à l’eudémonisme, le principe du bonheur est le but ultime de la vie humaine alors que le sadisme est la recherche du plaisir dans la souffrance volontairement infligée à autrui.


Le consumérisme est un mode de consommation individualiste, dépendant du marché, quantitativement insatiable, envahissant, hédoniste, axé sur la nouveauté.


LES ORIGINES DU DÉVELOPPEMENT PERSONNEL


Lors des premières années de la colonisation de l’Amérique par les migrants venus d’Europe, les WASP avaient ainsi dans l’idée de fonder une nouvelle société.


Le Far West représente alors un potentiel Eldorado, un espace des possibles. Le pays est à bâtir par la force de la volonté, l’extraction des richesses et le travail acharné de certains…


Ainsi, ces premiers colons bien souvent protestant, prônent le « Self Help », que l’on peut traduire en français par « développement personnel ». Dans ce contexte, le dur labeur est vécu comme une opportunité d’accomplissement.


La première déclaration d’indépendance des USA revendique 3 droits fondamentaux:

-le droit à la vie

-le droit à la liberté

-le droit à la recherche du bonheur


« Ce que Dieu veut, c’est un individu besogneux et engagé dans le monde ». Cette concept calviniste de l’accomplissement par le travail sera le terreau d’un « Proto-Capitalisme ».


Ce modèle de réussite par l’effort et la foi a été largement exploité par le monde télévisuel, « la petite maison dans la prairie » étant une des iconographies de ce phénomène.


LA GRANDE DÉPRESSION, ET APRÈS ?


En 1932 sévit la Grande Dépression aux USA. Un quart de la population américaine est au chômage et un million de personnes vit dans des conditions misérables.


C’est alors qu’émerge une exhortation collective à prendre la responsabilité de sa réussite ou de ses échecs, à prendre son destin en main, l’optimisme étant la variable déterminante pour sortir de la pauvreté. Les « self-made man » sont alors glorifiés car capables de saisir les ressources présentes par le fruit de leur efforts…


Pour exemple:


Chris Gardner, jeune homme issue d’une famille pauvre qui, après avoir embrassé le trading décomplexé, fait fortune en spéculant à Wall Street.


Oprah Winfrey, première femme noire la plus riche des USA, fille d’une domestique noire américaine et de père inconnu, a grandi dans un quartier populaire, avant de devenir la star du talk-show que l'on connait.


Cette culture du « self-made man » finit par asseoir le mythe de la méritocratie…

« Si certains n’y arrivent pas, c’est de leur responsabilité individuelle ».

A l’opposé de ces leaders, de ces gagnants, il y a les perdants, les désaxés, que l’on retrouvent dans certains films des 70’s ou 80’s, tel que « Les épouvantails » ou

« Rocky » magnifique looser, qui lança la carrière de Stallone.


EFFET PERVERS DU DÉVELOPPEMENT PERSONNEL


Ainsi, la psychologie positive, avec son idéologie parfois conservatrice, normalise les inégalités sociales avec des injonctions ou sentences comme suit :

« Si vous êtes pauvres, c’est que vous l’avez choisi ! »

« Que vous soyez pauvres, violés, traumatisés ou pas, tout dépend de vous ! »


Dans les temps plus anciens, nos ancêtres s’en remettaient à Dieu, vécu comme omniscient, omnipotent. Ainsi, des croyances séculaires et limitantes maintenaient nombre d’entre eux dans la stagnation ou la servitude.


Au contraire, le progrès se développe lorsque le pouvoir d’agir de l’humanité repose sur l’individu. Ainsi, le libéralisme à l’américaine est bien souvent associé au pouvoir d’agir, à la performance, à la réussite sociale… et au bonheur !


Dans la culture américaine, l’individu a beaucoup de pouvoir et la culture du développement personnel renforce le sentiment d’avoir tout pouvoir sur soi-même et sur sa vie.


ÉDUCATION ET PSYCHOLOGIE POSITIVE


La psychologie positive immisce dans toutes les strates de la société...


Léa Watters, ancienne élève de M. Selligman, est l’égérie mondiale de la psychologie positive adaptée au monde de l’éducation. Les préceptes de l’éducation positive promeuvent l’idée d’aider l’enfant à développer son potentiel, tout en encourageant les relations positives et bienveillantes.


Le but de ce modèle d’éducation est d’aider l’enfant à mettre des mots sur les qualités qui font sa force, identifier et nommer ses émotions, encourager la positivité et brider la négativité, cultiver les émotions positives…


LA PSYCHOLOGIE POSITIVE, COUTE QUE COUTE…


Il existe ainsi des centaines d’applications en psychologie positive, la plus populaire, "Headspace » a été téléchargée par plus de 70 Millions de personnes.

Conséquences : nous nous DEVONS d’être heureux !!!


Et si nous n’arrivons pas à être heureux, cela constitue un échec de plus, ce qui est extrêmement culpabilisant !

En bref, c’est la double peine… Non seulement, nous ne sommes pas heureux mais en plus nous nous vivons comme un looser.


Selon la mouvance hédoniste actuelle, pour être un bon être humain, il faut être en bonne santé et être heureux. Quitte à dénigrer ceux qui n’y parviennent pas !


ÊTRE HEUREUX, UNE OBLIGATION MORALE?


Dr Amen, psychiatre célèbre et controversé, a créé une entreprise rentable autour de l'utilisation de l’imagerie médicale à des fins de diagnostic. Mettant en avant l’optimisation émotionnelle et mentale de l’individu, il a collecté plus de 200 000 images de cerveaux. Il propose ensuite des supplémentations en complément alimentaire pour potentialiser les performances cognitives ou émotionnelles. Le Dr Amen a ainsi légitimé par la science, l’obligation morale à se montrer épanouie et l’a ensuite exploité commercialement.


Il est à noter qu'aux USA, 1 américain sur 6 avale régulièrement des pilules pour réguler ses émotions afin de correspondre à ces modèles de positivité.

A l’inverse, la version hédoniste et franchouillarde « Les Bronzés », est bien loin du culte de la performance à la sauce US…


A l’ère de la mondialisation, cette démocratisation de la manière de considérer le bonheur, invite un nombre toujours plus grand, à faire fructifier son être intérieur… pour le meilleur et parfois pour le pire.


La psychologie nous a amené à privatiser la souffrance, nous laissant entendre que la solution à nos difficultés n’est essentiellement qu’individuelle.

Le développement personnel et la valorisation de l’action individuel ont ainsi peu à peu dévalorisée l’action collective.


La psychologie positive et le juteux business qui s’appuie sur elle n’ouvrent-elle pas la porte à un nouvel ordre moral, voire à une dictature du bonheur ???


Et vous, quel est votre regard sur le développement personnel?



https://sms.hypotheses.org/18751


A lire, "Happycratie - Comment l'industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies" de Eva Illouz, Edgar Cabanas, Frédéric Joly.


* Nom d'emprunt



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