DAVOS – LANGWIES
0 km…
Le 13.06.2021
Je déjeune avec une famille d’autrichien. Ils viennent voir leur fille à Davos. Henri est aux petits soins pour tous et notamment pour la grand-maman… Dans chacun de ses gestes, dans chacun de ses sourires, je ressens son immense fragilité, son manque de confiance, ce besoin de reconnaissance du père… même s’il s’en défend en prétendant que nombreux sont jaloux car il est un homme libre. Libre oui mais tellement écorché vif… s’embrumant dans des paradis artificiels. Il me fait penser à certains de mes patients… sans doute un neuro-atypique non diagnostiqué qui s'auto-médique avec la pharmacopée cannabique.
Comme chaque matin, je range soigneusement mes affaires…
Mais aujourd’hui, ce n’est pas pour partir sur le chemin mais pour demander à Henri de me conduire à l’hôpital de Davos. En effet, les jours suivants, je serais dans des « bleds » et je ne suis pas sûre de trouver un médecin spécialisé en traumatologie.
Il me dépose devant les urgences. Je le remercie chaleureusement de sa sollicitude.
Les urgences sont calmes. On m’installe dans un box, on me fait remplir un formulaire. Une assistante m’ausculte, évalue la mobilité de la cheville, la réactivité de mon tendon et conclue à une tendinite. Bilan : je peux marcher, mettre du poids sur mon pied, mais je ne dois plus faire d’effort pendant une semaine… Me voilà donc rassurée.
Je reçois des appels aux nouvelles. «Vas-tu poursuivre ta route ou rentres-tu à la maison ? »
Certes, je ne peux plus randonner mais je peux tout de même poursuivre le voyage, d’autant plus que j’ai déjà réservé mes hébergements pour encore 4 jours. L’aventure n’est pas finie !
L’AVENTURE EST PARTOUT, POUR QUI LA RECHERCHE…
C’est peut-être ce que le Covid nous a appris. Auparavant, je m’efforçais de partir au moins une fois par an en Asie ou en Afrique. Mais aujourd’hui avec la pandémie, les contraintes sanitaires, les frontières à franchir et les pays en liste rouge… mieux vaut voyager local ! Et l’aventure est au détour du chemin. Il suffit de sortir de ses habitudes, de traverser la rue, de dormir sous une tente ou de partir un week-end à la ferme. Voilà ce que je découvre ici. Car ce chemin, je le voulais initiatique et il se révèle être bien au-delà de mes attentes.
LORSQUE LE CORPS NE PEUT PLUS SE MOUVOIR, ON PEUT ENCORE VOYAGER DANS SA TÊTE…
Soit ! Je ne suis plus autorisée à battre la campagne. Qu’il en soit ainsi ! Je décide donc de me rendre au musée Kirchner de Davos. L’art n’est-il pas une échappée d’une réalité, trop prosaïque et contraignante ?
Ernst Ludwig Kirchner, né en 1880, en Bavière et mort en 1938 près de Davos, est un peintre expressionniste allemand. En 1917, il quitte l’Allemagne pour Davos dans l’espoir d’y surmonter son addiction aux médicaments. L’expressionniste passe les vingt dernières années de sa vie à peindre dans les montagnes grisonnes.
Est également exposé, le peintre sculpteur et écrivain suisse suisse Martin Disler, né en (1949 - 1996).
Les œuvres sont présentées dans quatre cubes reliés entre eux par une salle des pas perdus sobre et réduite. L’univers de ces deux artistes nous laisse à voir une réalité plus profonde, celles de leurs tourments ou de leurs maux. Œuvre particulièrement torturées chez Dielser qui décède à 49 ans d’un AVC (accident vasculaire cérébral). Son ainé, quant à lui, se suicide, son art ayant été qualifié de dégénéré par les nazis. Nombres de ces tableaux seront détruits.
LORSQUE LE CŒUR POUSSE A CONTINUER MAIS LA RAISON INVITE A LA SAGESSE
Premier jour sans marcher.
Bien sûr, une part de moi se réjouit d’être en vie dans ce paysage magnifique. Se réjouis de pouvoir se déplacer même avec difficulté. Remercie d’avoir la capacité de voyager en pensée. Mais une part de moi ne parvient pas à se résoudre…. Devoir renoncer est douloureux ! Surtout pour moi à qui « l’on a appris à finir ». Finir son assiette, finir ses devoirs, finir ses études, bref, aller au bout.
Et ce côté jusqu’au-boutiste m’a souvent servi. Mais aujourd’hui, il me fait souffrir ! Car le chemin est en suspens. Inachevé !
Et cette frustration nourrit une envie. Envie irrépressible de revenir. De parcourir la Suisse à pied. Je me mets à consulter compulsivement les chemins accessible depuis mon domicile. Réfléchis à quand je pourrais revenir d’ici la fin de l’été. Car lorsque j’ai appelé le B’n’B de ma dernière nuit, ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas annuler ma réservation faite via une plateforme. Par contre, si je les contacte directement, je peux revenir ultérieurement. Je dois donc impérativement me dégager 4 jours pour FINIR mon parcours, d’ici la fin de la saison estivale.
PRENDRE LE TRAIN
Alors que je devais faire 5h à pied jusqu’à Langwies, il me faut 3h en train pour rejoindre ce village enclavé au fond de la vallée du Schanfigg. Cette vallée offre de charmantes terrasses ensoleillées, des prairies fleuries, de vastes pâturages…
Sarah vient gentiment me chercher à la gare avant de me déposer au restaurant Edelweiss. Elle repart en trombe car son mari Kruli l’attend. Il demande de l’aide pour une vache qui peine à entrer dans le box de traite. Les parents sont tous
deux moniteurs de ski l’hiver et éleveur de vaches et de moutons l’été. Les enfants, quant à eux sont aux études et petits champions de ski…
Une fois mon assiette de capuns savourée, je rejoins ma pension pour la nuit à pied. Je me laisse hypnotiser par ces paysages de montagnes, par le chant des grillons ou les cloches de vaches en contre-bas de la route, dans la forêt. Quel décor magnifique!
Ainsi le B’n’B Hof Zippert est sans doute le lieu le plus charmant où j’ai eu l’occasion de séjourner depuis le début de mon périple. Tout est décoré avec le plus grand gout… Je dors ce soir du sommeil du juste.
BILAN DES 8 JOURS
127km
3916 m de dénivelé positif
3454m de dénivelé négatif
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