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Photo du rédacteurEmilie Perrollaz

JOURNAL D'UN CORPS...



GUARDA – ZERNEZ (J5)

15km – 195m de dénivelé positif – 342 m de dénivelé négatif


Le 09.06.2021

Aujourd’hui, c’est un jour sans !

Sans énergie ! Sans courage !

Et pourtant, c’était censé être l’étape la plus accessible depuis le début de mon chemin.

Peu de dénivelé, un temps couvert mais sans ondée…

Serait-ce la « crotte de la marmotte » (liqueur locale avec un petit push de chantilly) que m’a servie Marianna hier soir ?

Je me traine toute la journée. Contrainte à de nombreuses pauses, je peine à redémarrer. Le temps d’un instant, je me demande si je parviendrais à finir l’étape.



JOURNAL D’UN CORPS


Comme nous le rappelle Pennac dans son roman éponyme, les défaillances de la psyché résonnent avec celle du corps. Ainsi, puisque l’humeur du jour est morne, le corps se rappelle à ses certitudes à géométrie variable.


Ce n’est que mon cinquième jour de marche et pourtant, mon corps, ce véhicule, occupe le devant de la scène.

Il me semble, pas après pas, découvrir de nouveaux muscles, jusqu’alors ignorés.


Mon esprit ne cesse de faire d’incessants allers-et-retours entre la tête et les métatarses, faisant par moment escale dans la zone stomacale lorsque celle-ci ne demande qu’à être nourrie…

Chaque soir, je prends une trentaine de minutes pour baigner et panser mes pieds meurtris.

Chaque jour, révèle un nouveau bubon séro-sanglant. Incroyable ce que cette chair peut produire comme liquide.


A mes heures perdues, ce corps devient mon plus précieux objet d’expérimentation. J’ai ainsi découpé le toit d’une ampoule sur une face latérale du pied droit avant de la couvrir.

Alors que j’ai simplement bâcher l’autre talon, pour objectiver quelle est la stratégie la plus efficace.


Mes hanches sont lacérées par les lanières du sac.

J’ai, par ailleurs entrepris de dégraisser ma ventripotente sacoche.

En effet, j’ai ânonné péniblement quelques frêles mots teutons, accompagnés d’une langue des signes peu explicite, devant la postière interdite… Elle a finalement réussi à décoder mes gesticulations et j’ai renvoyé un carton à chaussures plein de de mes futiles nippes. Après moultes tergiversations, je me convaincs que je ne les revêtirais sans doute pas mais elles ne manqueront pas de soulager mes lombaires.

« Prudence n’est que l’euphémisme de la peur », disait Jules Renard.

Et si l’inattention a un coût, la prudence a un poids !


« Nous sommes jusqu’au bout l’enfant de notre corps. Un enfant déconcerté ». Pennac


LE POUVOIR (VERSUS DEVOIR) DE S’ALLÉGER…

S'alléger!

C’est une métaphore que j’utilise volontiers en thérapie... Je fais visualiser à mes patients une longue ligne droite qu’ils arpentent, avec un sac sur leur dos.

Cette ligne est notre ligne de vie. Nous avons tous un sac au départ, plus ou moins lourd, selon notre héritage familial, transgénérationnel…


Nous pouvons ainsi choisir de cheminer tant bien que mal sur cette route avec ce sac qui nous a été attribué. Mais nous pouvons aussi faire l’inventaire et nous délester de ce qui ne nous est plus utile… parfois même rendre ce qui ne nous appartient pas…


J’ai éprouvé physiquement ce qu’un sac trop chargé signifie. J’aurais tout le plaisir d’apprécier cette décharge demain…


« Le rien ne doit pas être négligé, il pèse de son poids invisible, de sa prétendue légèreté mais en fait, le rien est ce qui mine beaucoup d’existences ». Tahar Ben Jelloun



LE JOUR DU SEIGNEUR…

C’est ma première marche en solitaire (oui, j’ai marché dans le désert marocain mais avec un groupe et des chameliers. Dans l’Atlas, ce furent les mules qui portaient mon bardât).

Mais aujourd’hui, personne pour porter mon sac, pour me tirer en avant ou pour m’insuffler hardiesse et force. Alors, je dois aller chercher au plus profond la jument qui est en moi pour ce dernier trôt…


Je me suis tout de même juré que si je devais refaire un parcours à pied, je me garderais le « jour du Seigneur » à savoir un jour de pause dans le semaine avant de renfiler mes brodequins. En effet, douze jours de marche sont prévus et impossible à différer car toutes mes soirées en gite, auberge, pension, hôtel, clapier… sont réservées.


« LA NOSTALGIE, C’EST LE DÉSIR D’ON NE SAIT QUOI » … Antoine de Saint Exupéry


Eh oui, aujourd’hui rime avec nostalgie…

Une odeur de bois fraichement coupé ravive le souvenir de la scierie de mon grand-père maternel, alors qu’à l’aube de sa mort, il fendait encore ses planches, son bleu de travail cachant difficilement ses jambes cachectiques.



Un mot devient phrase puis paragraphe. Le livre s’écrit dans ma tête…


Apparait alors le visage mâchuré de ma grand-mère paternel. Enseignante à l’école enfantine, elle passait ses étés, alors jeune retraitée, à me faire faire des dictées, des exercices de Bled ou de Bescherelle… Quelle corvée !

Pourtant, aujourd’hui je lui dois tout. Mon goût des mots. Mon amour des lettres.


Sur le quai d’une gare j’ai lu le dernier chapitre « Des chemins noirs ». Le verbe de Tesson se veut parfois poétique, tantôt philosophique, de temps à autre cynique… mais ses écrits me touchent au cœur, mouillant pas moment mes yeux. Récit d’une mue par et au travers de la nature, d’une rédemption pour échapper à l’appel du poison éthylique qui lui a couté la carcasse, d’une guérison contre la tristesse et la mélancolie, d’une réhabilitation d’un corps broyé….


Parcourir Tesson me rappelle à mon inculture. Chaque page m’oblige à me détourner de ma lecture, à me référer au Wiktionnaire, prétexte pour découvrir alors un peintre, un écrivain, un poète oublié ou méconnu…

A suivre...

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